ARTICLE DE BERNARD BOUTTER
Voilà déjà plus d’un an, en avril 2010, paraissait aux éditions du Cerf un ouvrage consacré aux « nouveaux courants charismatiques » dans l’Eglise catholique. Ce recueil de textes, écho d’un séminaire tenu sous l’égide de la Conférence des Evêques de France (voir ici la présentation du livre par Mgr Boishu, responsable du groupe épiscopal d’accompagnement du Renouveau charismatique), évoque notamment le courant récemment apparu au sein du Renouveau catholique, dénommé « mouvement de la Gloire ». Ce mouvement, dont une des principales figures de proue est le théologien Silouane Ponga (6), un religieux d’origine africaine membre de la communauté des Béatitudes, actuellement supérieur provincial des communautés d’Afrique, contribue à « réintroduire l’extraordinaire chrétien » dans l’Eglise catholique, selon Justine Louis, auteur d’une passionnante thèse soutenue en 2008 à l’Université de Lyon 3 (accessible en ligne ici)1.
Frère Silouane Ponga
Caractéristique de ce « mouvement de la Gloire », le fait d’être transconfessionnel, à vocation oecuménique. Des prêtres et des laïcs catholiques issus du Renouveau y oeuvrent avec des protestants, notamment des fidèles et des pasteurs évangéliques de la « troisième vague charismatique », tels que Carlos Payan en France, fondateur des mouvements « Embrase nos coeurs », « Paris, tout est possible » et responsable local de l’Association Internationale des Ministères de Guérison (AIMG) 2.
Pour y voir plus clair, il n’est peut-être pas inutile de rappeler ce qu’est cette « troisième vague », née vers la fin des années 1970 mais qui a pris de l’ampleur, mondialement, à partir de la décennie suivante. Pour faire court, il s’agit d’un ensemble de mouvements évangéliques charismatiques dont une des principales caractéristiques est de mettre l’emphase, avant toute autre chose, sur la « puissance divine » opérant guérisons et miracles. Certes, cet aspect des choses n’est pas absent dans le cadre des deux premières « vagues » pentecôtistes et charismatiques apparues pour la première au début du XXème siècle et pour la seconde au cours des années 1960. Toutefois, dans ces deux « vagues », l’effervescence originelle et les diverses modalités de l’expression charismatique ont été plus ou moins rapidement encadrées et canalisées. Ainsi, dans le cadre pentecôtiste évangélique « classique » (dans les Assemblées de Dieu, par exemple), l’expression charismatique est aujourd’hui assez strictement contrôlée et doit toujours trouver sa justification dans les écrits évangéliques. Dans le cadre de la « deuxième vague », au sein du Renouveau charismatique catholique par exemple, rapidement repris en main par les institutions ecclésiales dès les années 1970, cette expression est subordonnée, de surcroît, à la tradition catholique. Dans la « troisième vague », par contre, ce qui prime, c’est avant tout la manifestation immanente de la présence divine par le biais de l’Esprit-Saint se révélant avec « puissance » par des miracles de toutes sortes (y compris, dans certains cas, par des « pluies de paillettes d’or » sur les fidèles ou des transformations de plombages dentaires en or). Au sein des différents courants de ce « power evangelism », les préoccupations eschatologiques et celles concernant la lutte entre puissances bénéfiques et démoniaques – lutte à laquelle le chrétien charismatique doit prendre part en tant que « soldat de Dieu » – sont encore bien plus marquées que dans le pentecôtisme « classique ». D’autant que, souvent, contrairement au pentecôtistes « classiques » qui sont, eux, généralement prémillénaristes, pour beaucoup de croyants en phase avec cette « troisième vague », le Millénium est déjà là, et il faut, de ce fait, « combattre aux côtés du Christ en vue de la victoire finale sur les forces des ténèbres ». C’est dans cette mouvance évangélique, sous l’impulsion de divers théologiens et évangélistes (3) que sont nées des innovations conceptuelles telles que la « Parole de Foi » ou la « théologie de la prospérité », la « guerre spirituelle » (« spiritual warfare ») et la « cartographie spirituelle » (« spiritual mapping ») et des formes d’expression charismatiques inédites telles que celles en usage dans le « torontisme » (courant dénommé ainsi en référence aux manifestations qui mirent en effervescence, à partir de 1994, une assemblée évangélique charismatique de Toronto, au Canada).
Alors qu’une fraction de cette « troisième vague » est opposée à l’œcuménisme transconfessionnel (4), le « mouvement de la Gloire » est, lui, largement ouvert au contact œcuménique, notamment avec les charismatiques catholiques. Non sans un certain succès, d’ailleurs, car parmi ces derniers, en effet, on rencontre bon nombre de fidèles en quête d’un mieux-être, physique ou spirituel, sensibles au message délivré par des groupes « néocharismatiques » protestants évangéliques qui prêchent la guérison (healing) et les miracles, par la « grâce d’un Dieu puissant qui veut que ses enfants soient en bonne santé, épanouis et prospères ». C’est de facto par le biais de cette frange que s’opère la jonction (5) entre « deuxième vague » (une frange, en tout cas de cette « deuxième vague », y compris dans le clergé catholique encadrant des groupes charismatiques) et « troisième vague ». Cette perspective œcuménique, si elle existait déjà, avant les années 1980, dans le courant pentecôtiste-charismatique, est surtout représentée aujourd’hui par ce « Mouvement de la Gloire ».
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1. LOUIS Justine, L’Eglise catholique face à l’extraordinaire chrétien depuis Vatican II, thèse de doctorat d’Histoire contemporaine (sous la direction de Régis Ladous), Université Jean Moulin, Lyon 3, 2008.
2. l’Association Internationale des Ministères de Guérison (AIMG) émane d’un «ministère» créé au Minnesota par un couple de pasteurs nord-américains, Jim et Ramona Rickard, dans le cadre du réseau évangélique charismatique RAIN (Resurrection Apostolic International Network). En Europe, c’est par le biais d’évangélistes charismatiques locaux de « troisième vague » comme, en Suisse, Jean-Luc Trachsel, ou, en France, Carlos Payan, que l’AIMG s’est implantée. Sur l’AIMG, et plus particulièrement sur les « chambres de guérison » mises en place en Suisse par cette association, voir l’article de Christophe Monnot et Laetitia Krummenacher: « Corps lieu d’épreuxe, lieu de la preuve. Récits d’usagers de la chambre de guérison de Genève », paru dans le numéro 22 (mai 2011) de la revue d’ethnographie en ligne ethnographiques.org (voir ici).
3. D’origine nord-américaine en général, comme Kenneth Hagin, C.P. Wagner ou John Wimber, mais aussi anglaise comme Derek Prince, allemande comme Reinhard Bonnke ou sud-coréenne comme David Yonggi-Cho.
4. Notamment le courant que l’on pourrait dénommer « conspirationniste » (dans la mesure où un de ses principaux « chevaux » de bataille » est la dénonciation d’un supposé complot satanique visant à l’instauration d’un Nouvel Ordre Mondial). Ce courant, dont les têtes de file sont, par exemple, les évangélistes Michelle d’Astier de la Vigerie, Henri Viaud-Murat ou l’apôtre d’origine congolaise Shora Kuetu, se différencie également du « mouvement de la Gloire » par son prémillénarisme (les fidèles sont dans l’attente de « l’enlèvement de l’Eglise » précédant le Millénium) et son rejet sans appel de la « théologie de la prospérité ».
5. Ce sont notamment les contacts œcuméniques que des pentecôtistes évangéliques «classiques» eurent, dans les années 1950-1960, avec des catholiques et des protestants non pentecôtistes qui contribuèrent à l’émergence de la «deuxième vague» charismatique au sein des Eglises établies. Cet œcuménisme là s’est beaucoup refroidi depuis, à l’exception de ce qui se pratique encore dans un mouvement paraecclésial international comme le Full Gospel Business Men’s Fellowship International créé en 1952 par l’américain d’origine arménienne Demos Shakarian.
6.Silouane Ponga n’est plus provincial de l’Afrique depuis plusieurs années. Il n’est également plus membre de la Communauté des Béatitudes depuis plusieurs années.
SOURCE : http://bboutter.blogspot.com/2011/07/le-mouvement-de-la-gloire-et-la.html